vendredi 5 avril 2013

Shikoku jour 11 : de chien à chaloupe


Début de journée chien

Ville de Miyoshi. Je sue, j'ai chaud. Progressant péniblement sur l’asphalte, je peste contre le soleil de midi qui plombe malgré avril, contre la distance beaucoup plus longue que prévue jusqu'à la route nationale, contre le fait d'être trop habillé, trop chargé. Journée qui commence plutôt mal.

C'est peut-être qu'il s'agit du dernier jour complet du voyage. Jusqu'à maintenant j'ai pu moduler mes destinations au gré du moment, avec comme seul cadre l'idée très souple de faire le tour de Shikoku en sens antihoraire, ce que je suis parvenu à faire, avec quelques passages par l'intérieur.

Mais en cette onzième journée, déjà se fait ressentir la nécessité de regagner Tokyo, et le boulot qui m'attend samedi matin. Mes heures de vacances étant comptées, la liberté des derniers jours s'en trouve restreinte. Aujourd'hui je compte rejoindre la ville de Takamatsu, lieu d'adieu entre moi et l'île qui a su m'accueillir d'admirable façon depuis presque deux semaines.

Avant de partir de ma chambre chez l'habitant, au prix si modique que j'ai préféré donner à monsieur Matsubara, les quatre-vingt ans bien sonnés, mon budget de nuitée plutôt que ce qu'il demandait, j'ai choisi de me rendre d'abord à Kotohira, ville réputée pour Kompira-san, un temple dont la branche tokyoïte est au pied de la tour abritant mon école de japonais.

J'arrive finalement au feu de signalisation visé, de manière à ce que quiconque souhaite me prendre puisse le faire sans danger, en tournant d'abord à gauche, dans une petite rue moins achalandée. Les épaules libérées d'un poids, je me sens bien mieux, et la brise rafraîchissante me redonne la bonne humeur.

Les camionneurs devant s'assujettir aux politiques d'entreprise interdisant de prendre les autostoppeurs, aujourd'hui comme à l'habitude je ne leur réserve pas autant d'attention que les automobilistes, et mets moins d'effort à établir le contact visuel.

Monsieur Fuku, au volant d'un camion-bétonnière, décide toutefois de confirmer la règle en en incarnant l'exception. Se trouvant derrière deux ou trois voitures, il me fait signe de venir monter à bord. Le feu étant sur le point de tourner au vert, je lui indique de venir d'abord se ranger.

L'exceptionnel confirmateur de règle

Il est sympathique, fume comme une cheminée en baissant toutefois la fenêtre à chaque cigarette allumée, a une femme philippine et un fils champion de boxe scolaire. En homme serviable il me dépose sur l'allée pavée menant au temple, qui surplombe une colline. 

Son gros camion détonne en ces lieux, les plus touristiques jusqu'à présent dans mon voyage. Les restaurants et boutiques de souvenirs foisonnent, et les touristes, dont un certain nombre d'étrangers, sont nombreux au point où je me demande si ce jeudi n'est pas férié. 

L'affiche m'invite à visiter le temple le sourire aux lèvres. Je pense avoir mérité mon droit d'entrée.

Après vérification, c'est un jour de semaine comme les autres. Kompira-san est tout simplement prisé du public. Je trouve un restaurant, y commande un bol de sanuki udon, nouilles caractéristiques de la région. On m'offre d'y laisser mon sac à dos en vue de l'ascension. J'accepte volontiers. Les 785 marches me séparant du temple s'en trouveront bien plus faciles à gravir, ainsi allégé. 

L'abondance de touristes et la surabondance de boutiques proposant à quelques différences près les mêmes affaires me font rendre compte à quel point un voyage de pouce comme celui que je me suis accordé me permet non pas de sortir du proverbial sentier battu, mais plutôt de le tracer, mon propre sentier.

Ascension aidée par bâton

Plusieurs paliers d'escaliers sont entrecoupés de segments plats.  Le bâton de marche est de rigueur, pour les jeunes comme pour leurs aînés. Hautain après la conquête des deux toits de Shikoku, je me refuse à pareille tricherie.

Pause à l'ombre de l'arbre, avec ventilateur géant pour jours de canicule

Les cerisiers, aux fleurs bien présentes mais dont la fin approche, commencent à se vêtir de leur feuillage estival. J'aperçois une jolie fille qui les admire. Elle cadre bien dans le portrait.


J'atteins le sommet, profite de la vue de la plaine en contrebas. Un des monts au loin a toutes les allures d'un volcan. Pourtant, Shikoku en est dépourvu.



Le temple Kompira-san est consacré à la divinité Ō-mono-nushi-no-mikoto, gardienne de la navigation maritime. Les nombreuses photos de navires à protéger des calamités sont néanmoins incongrues dans ce sanctuaire perché à 521 mètres du niveau de la mer. Me vient à l'esprit le proverbe japonais sendō ōku shité fune yama ni noru (船頭多くして船山に登る), mettant en garde contre le leadership remis entre trop de mains, qui signifie, littéralement, trop de capitaines et le bateau gravira la montagne. 

Bateaux à flanc de coteau

Il est coutume, à la visite de temples de ce genre, de lancer quelques pièces dans un grand récipient en bois installé sur son parvis puis d'enchaîner une prière. Les plus populaires d'entre eux engrangent de bonnes sommes, et le visage du collecteur crispé par le poids du butin me confirme que Kotohira n'est pas en reste.


J'amorce la descente. L'après-midi est déjà avancée, et je souhaite au minimum rejoindre Takamatsu avant la nuit, ou mieux une des îles de la mer intérieure reliée à cette ville par traversier. De retour au restaurant, je m'entretiens brièvement avec le personnel, intrigué par mon sac et la nature de mon voyage. Je leur demande un lift mais puisque personne ne prévoit d'aller dans ma direction, je retourne à la nationale, la même que ce matin.

Peu de temps suffit à ce que messieurs Uchida et Nishiyama me fassent monter à bord. Représentants commerciaux dont les bureaux sont à Takamatsu, ils reviennent, bredouilles, d'une réunion avec un client de Miyoshi, d'où moi-même je suis parti en début de journée.

La discussion à trois, dans le cadre de laquelle je leur fais part du projet de traversier, précédé d'un visite du château de Takamatsu si le temps le permet, fait changement des dialogues habituels avec un seul interlocuteur. Bien vite, nous sommes à destination, en direction du port.

À notre arrivée, remarquant que le traversier pour l'île Naoshima est sur le point partir, monsieur Uchida le passager bondit hors de l'auto et se précipite à la billetterie. Chargé de mon sac je tente de l'y rejoindre, mais à mi-chemin il revient au pas de course, me donne le billet en refusant tout argent de ma part, et me presse d'aller prendre le traversier, au départ imminent.

Juste avant d'y mettre les pieds, je salue ces deux sympathiques bienfaiteurs. Je me retourne, remets mon billet au préposé et monte à bord. Nous quittons le port presque sur-le-champ.

Je suis à la fois dépassé et extatique par une telle rapidité de transport. Depuis le pont de ce navire, qui bénéficie peut-être de la protection de Konpira-san, j'admire les derniers rayons du soleil couchant, tandis que Takamatsu s'éloigne. La visite de son château pourra attendre.




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