samedi 6 avril 2013

Shikoku jour 12 et fin : d'abandon à réussite


À bord du traversier de 6h40 à destination d'Uno, je quitte Naoshima. J'ai le projet, mûri par quelques heures de réflexion hier soir tard, de tenter un peu follement de regagner Tokyo sur le pouce, à presque 700 kilomètres, mais pour espérer réaliser pareil exploit, il me faut d'abord atteindre, au petit matin, l'île d'Honshu, la plus grande de l'archipel japonais.

Trotte du matin

Le terminal de débarquement est tout près de la gare Uno, qui constitue le terminus sud de la ligne du même nom. Pour me rendre à la bretelle d'accès de l'autoroute Sanyo, la voie d'accès routier la plus directe jusqu'à Tokyo, je dois d'abord prendre cette ligne jusqu'à la gare centrale d'Okayama, lieu de transfert vers la ligne principale Sanyo, qui me permettra d'arriver à la station Seto. De là, deux kilomètres de marche me séparent de l'autoroute, ce qui représente, vérification faite, la distance la plus courte qu'il m'est permis d'espérer depuis les gares de cette ligne.


Peu après neuf heures, je m'installe donc à courte distance des postes de péage et y déploie mon sourire, les bras et la nuque exposés au soleil. D'emblée, je vise gros en exhibant les caractères de Tokyo, dans l'espoir que quelqu'un y allant ait envie de se montrer particulièrement généreux.

Appât pour gendarmes

Au bout d'une heure, toujours rien, si ce n'est la visite de policiers, arrivés directement de l'autoroute à bord de deux camionnettes, dont l'un des conducteurs me somme par haut-parleur d'évacuer immédiatement la bretelle. Je m'exécute alors même qu'ils regagnent l'autoroute, sans même être sortis de leurs véhicules. Un peu impersonnel comme unique interaction avec les forces de l'ordre.

Désormais installé au feu de circulation menant à la bretelle proscrite, j'ai le loisir de m'asseoir sur la rampe de ciment, en me balançant les pieds. Je décide d'avoir des visées plus modestes en écrivant puis en exposant sur une nouvelle page les caractères de Kyoto, à deux cents kilomètres à peine.


Une deuxième heure s'écoule. Je commence à avoir faim, mais y donner suite aurait l'effet fâcheux de réduire presque à néant mes chances de succès, à moins que... à moins qu'une astuce toute simple me permette à la fois de me remplir l'estomac tout en laissant savoir aux automobilistes les raisons de ma présence en ces lieux. Je décide d'aller la mettre en application, juste devant l'arrêt d'autobus, tout près.


Ainsi, destination bien en évidence sur mon sac dressé, je prends le temps d'étendre sur ma dernière barre énergétique ce qui me reste de beurre de pinottes. Le temps de l'engloutir à l'aide d'un peu d'eau et je me rends compte que je suis sur place depuis déjà plus de deux heures trente. Les coups de midi approchent, mes espoirs de réussite s'amenuisent, je me mets à redouter de ne pouvoir être de retour au bercail à temps pour le boulot, le lendemain matin. La recherche d'autres options s'impose.

À l'aide de mon téléphone dont la pile s'affaiblit à un rythme alarmant, je cherche. Je pense d'abord aux autocars de nuit, dont les plus tôt me permettraient d'arriver à Tokyo vers sept heures du matin. Mais j'appréhende la journée de travail m'attendant au bout d'une nuit de transport inconfortable, d'autant plus que mon point de départ, Himeji, serait en amont des grandes villes du Kansai, dont Kobe, Osaka et Kyoto, et donc qu'une multitude d'arrêts au sein de ces villes précéderait le réel départ.

Me trouvant un peu ridicule de chercher l'économie maximale au prix d'un retour pénible au bercail, je décide finalement de m'offrir le luxe de revenir à bord du dernier train rapide de la soirée, qui me permettra d'être chez moi le soir même pour dormir dans mon lit.

Le train rapide, nommé shinkansen, est à prendre à Himeji, ville réputée pour son grand château en cours de restauration, à rejoindre d'abord par train local depuis la station Seto, la même dont je suis venu, trois heures plus tôt. Bien content que cette décision me permette de profiter de ce qui reste de cette belle journée, je me lève en vue de préparer mon sac au retour à la station Seto, et c'est alors que j'aperçois un jeune homme qui s'approche. Tandis que sa mère attend dans l'auto, immobilisée non loin, il vient me donner une bouteille de thé et une autre de boisson désaltérante, à la fraîcheur bienvenue. Je lui demande, mais malheureusement ils n'ont pas l'intention de se rendre à Kyoto. Aucun conducteur ne m'aura pris en cet endroit, mais ces gentils inconnus auront eu mon bien-être à cœur! Ainsi ravivé, je rentre à la gare, et profite de l'attente du train pour me libérer de mes bottes et jeans au profit de shorts et souliers.

J'arrive à la gare Himeji vers treize heures trente. Premier arrêt, l'office de tourisme, où l'on me remet la clé d'un vélo à location gratuite. Je laisse mon gros sac dans un coin tranquille de l'office, et vais prendre mon vélo.



Il s'agit seulement de ma deuxième occasion de locomotion à deux roues du voyage, en net contraste avec mon quotidien de cycliste à Tokyo. La balade jusqu'aux environs du château, agrémentée d'une petite brise, est d'un grand plaisir.

Profitant de ce vendredi après-midi ensoleillé, nombreux sont les badauds, attirés par les étals de produits locaux, les performances d'orchestres scolaires, et le charme offert par les cerisiers, encore au plus fort encore de leur floraison, contrairement à ceux de Shikoku.



Me vient la réalisation que sans écran solaire, laissé dans mon sac à l'office de tourisme, les rayons qui me chauffent la peau sans interruption depuis ce matin sont en voie de me donner un premier coup de soleil cette année. Peu enclin à devoir revenir sur mes coups de pédale, je me dis que parfois il faut souffrir pour être au beau temps.

Transporté par la performance, ce petit bonhomme a eu besoin de l'intervention de maman pour que, du haut de ses trois pommes, il cesse de bloquer la vue de tous.


Les groupes d'écoliers enchaînent les représentations sur la grande place. À un certain moment, de jeunes filles s'alignent pour chanter a cappella, et le hasard veut qu'un pigeon souhaite s'y joindre au moment de les prendre en photo.



De la grande place, je vais me balader aux environs du château, dont le donjon principal est emmuré d'une structure temporaire pour la rénovation. Cerisiers et ceux qui s'en immergent croisent sans cesse mon chemin. Je savoure ma chance, heureux au final d'avoir abandonné le pouce avant de me faire prendre.



Je rigole d'apercevoir une fille qui transporte un chien dans le panier de son vélo. Quelques minutes plus tard, aux abords de la douve entourant le château, je reconnais ledit canin, et me met à parler à son propriétaire. Kozué, de son nom, s'y trouve avec Kaoru, sa cadette. Comme tant d'autres de leurs concitoyens, les sœurs Takasé profitent du beau temps. 



Nous discutons un moment, y allons d'un portrait avec chien inclus, et je leur demande si elles veulent bien m'accompagner au restaurant, en soirée. Elles acceptent. Il est seize heures, nous convenons de nous rencontrer à la gare centrale à dix-heures, d'ici là j'ai encore deux heures à déambuler, en sachant que j'aurai ensuite de la compagnie comme dernier souper du voyage. Le beau temps, le moment, même la structure recouvrant le château, tout baigne.



De pouce abandonné à après-midi ensoleillé. Le plaisir de l'échec aux allures de réussite, ou point final, et idéal, à voyage mémorable!








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